20/08/2015

Stefan Zweig - Avant 1914, la terre avait appartenu à tous les hommes.


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Vor 1914 hatte die Erde allen Menschen gehört.


Aujourd'hui, un article un peu atypique pour ce blog.

Vous qui êtes nés au XXIème siècle, savez-vous qu'il n'y a pas si longtemps, on passait d'un pays à l'autre sans passeport ? C'est ce que raconte Stefan Zweig, un des plus grands écrivains de langue allemande.


"Ce passage donne, à rebours, le vertige sur ce que nous avons perdu, aujourd'hui où le consensus de l'Europe s'établit sur les bases de la peur et du rejet des étrangers."  Eric 111, Mediapart, août 2015




... Et de fait, rien peut-être ne rend plus sensible le formidable recul qu'a subi le monde depuis la Pre­mière Guerre mondiale que les restrictions apportées à la liberté de mouvement des hommes et, de façon générale, à leurs droits. Avant 1914, la terre avait appartenu à tous les hommes. Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu'il lui plaisait. Il n'y avait point de permissions, point d'autori­sations, et je m'amuse toujours de l'étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu'avant 1914 je voya­geais en Inde et en Amérique sans posséder de passe­port, sans même en avoir jamais vu un. On montait dans le train, on en descendait sans rien demander, sans qu'on vous demandât rien, on n'avait pas à rem­plir une seule de ces mille formules et déclarations qui sont aujourd'hui exigées.

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Il n'y avait pas de per­mis, pas de visas, pas de mesures tracassières, ces mêmes frontières qui, avec leurs douaniers, leur police, leurs postes de gendarmerie, sont transfor­mées en un système d'obstacles ne représentaient rien que des lignes symboliques qu'on traversait avec autant d'insouciance que le méridien de Greenwich. C'est seulement après la guerre que le national-socialisme se mit à bouleverser le monde, et le pre­mier phénomène visible par lequel se manifesta cette épidémie morale de notre siècle fut la xénophobie : la haine ou, tout au moins, la crainte de l'autre. Partout on se défendait contre l'étranger, partout on l'écartait. Toutes les humiliations qu'autrefois on n'avait inven­tées que pour les criminels on les infligeait mainte­nant à tous les voyageurs, avant et pendant leur voyage. Il fallait se faire photographier de droite et de gauche, de profil et de face, les cheveux coupés assez court pour qu'on pût voir l'oreille, il fallait donner ses empreintes digitales, d'abord celle du pouce seule­ment, plus tard celles des dix doigts, il fallait en outre présenter des certificats, des certificats de santé, des certificats de vaccination, des certificats de bonnes vie et mœurs, des recommandations, il fallait pouvoir présenter des invitations et les adresses de parents, offrir des garanties morales et financières, remplir des formulaires et les signer en trois ou quatre exem­plaires, et s'il manquait une seule pièce de ce tas de paperasses, on était perdu.
Tout cela paraît de petites choses sans importance. Et à première vue il peut sembler mesquin de ma part de les mentionner. Mais avec toutes ces absurdes « petites choses sans importance », notre génération a perdu absurdement et sans retour un temps pré­cieux : quand je fais le compte de tous les formulaires que j'ai remplis ces dernières années, des déclara­tions à l'occasion de chaque voyage, déclarations d'impôts, de devises, passages de frontières, permis de séjour, autorisation de quitter le pays, annonces d'arrivée et de départ, puis des heures que j'ai passées dans les salles d'attente des consulats et des adminis­trations, des fonctionnaires que j'ai eus en face de moi, aimables ou désagréables, ennuyés ou surme­nés, des fouilles et des interrogations qu'on m'a fait subir aux frontières, quand je fais le compte de tout cela, je mesure tout ce qui s'est perdu de dignité humaine dans ce siècle que, dans les rêves de notre jeunesse pleine de foi, nous voyions comme celui de la liberté, comme l'ère prochaine du cosmopolitisme. Quelle part de notre production, de notre travail, de notre pensée nous ont volée ces tracasseries impro­ductives en même temps qu'humiliantes pour l'âme ! Car chacun d'entre nous, au cours de ces années, a étudié plus d'ordonnances administratives que d'ouvrages de l'esprit ; les premiers pas que nous fai­sions dans une ville étrangère, dans un pays étranger, ne nous menaient plus, comme autrefois, aux musées, aux paysages, mais à un consulat, à un bureau de police, afin de nous procurer un « permis de séjour ». Quand nous nous trouvions réunis, nous qui commentions naguère les poèmes de Baudelaire ou discutions des problèmes d'un esprit passionné, nous nous surprenions à parler d'autorisations et d'affidavits, et nous nous demandions s'il fallait sol­liciter un visa permanent ou un visa touristique ; durant ces dix dernières années, connaître une petite employée d'un consulat, qui abrégeait l'attente, était plus important que l'amitié d'un Toscanini ou d'un Rolland. Constamment, nous étions censés éprouver, de notre âme d'êtres nés libres, que nous étions des objets, non des sujets, que rien ne nous était acquis de droit, mais que tout dépendait de la bonne grâce des autorités. Constamment, nous étions interrogés, enregistrés, numérotés, examinés, estampillés, et pour moi, incorrigible survivant d'une époque plus libre et citoyen d'une république mondiale rêvée, cha­cun de ces timbres imprimés sur mon passeport reste aujourd'hui encore comme une flétrissure, chacune de ces questions et de ces fouilles comme une humi­liation. Ce sont de petites choses, je le sais, de petites choses à une époque où la valeur de la vie humaine s'avilit encore plus rapidement que celle de toute monnaie. Mais c'est seulement si l'on fixe ces petits symptômes qu'une époque à venir pourra déterminer avec exactitude l'état clinique des conditions et des perturbations qu'a imposées à l'esprit notre monde d'entre les deux guerres.
Peut-être avais-je été trop gâté auparavant. Peut-être aussi les trop brusques changements de ces der­nières années ont-ils peu à peu surexcité ma sensibi­lité. Toute forme d'émigration produit déjà par elle-même, inévitablement, une sorte de déséquilibre. Quand on n'a pas sa propre terre sous ses pieds — cela aussi, il faut l'avoir éprouvé pour le comprendre — on perd quelque chose de sa verticalité, on perd de sa sûreté, on devient plus méfiant à l'égard de soi-même. Et je n'hésite pas à avouer que depuis le jour où j'ai dû vivre avec des papiers ou des passeports véritable­ment étrangers, il m'a toujours semblé que je ne m'appartenais plus tout à fait. Quelque chose de l'identité naturelle entre ce que j'étais et mon moi primitif et essentiel demeura à jamais détruit. Je suis devenu plus réservé que ma nature ne l'eût comporté, et moi, le cosmopolite de naguère, j'ai sans cesse le sentiment aujourd'hui que je devrais témoigner une reconnaissance particulière pour chaque bouffée d'air qu'en respirant je soustrais à un peuple étranger. Avec ma pensée lucide, je vois naturellement toute l'absurdité de ces lubies, mais notre raison a-t-elle jamais quelque pouvoir contre notre sentiment pro­pre ? Il ne m'a servi à rien d'avoir exercé près d'un demi-siècle mon cœur à battre comme celui d'un « citoyen du monde * ». Non, le jour où mon passeport m'a été retiré, j'ai découvert, à cinquante-huit ans, qu'en perdant sa patrie on perd plus qu'un coin de terre délimité par des frontières.


Stefan ZWEIG (1942). Le monde d’hier, souvenirs d’un Européen (trad. S. Niémetz, 1993)

Le texte original :
In der Tat: nichts vielleicht macht den ungeheuren Rückfall sinnlicher, in den die Welt seit dem ersten Weltkrieg geraten ist, als die Einschränkung der persönlichen Bewegungsfreiheit des Menschen und die Verminderung seiner Freiheitsrechte. Vor 1914 hatte die Erde allen Menschen gehört. Jeder ging, wohin er wollte und blieb, solange er wollte. Es gab keine Erlaubnisse, keine Verstattungen, und ich ergötze mich immer wieder neu an dem Staunen junger Menschen, sobald ich ihnen erzähle, daß ich vor 1914 nach Indien und Amerika reiste, ohne einen Paß zu besitzen oder überhaupt je gesehen zu haben. Man stieg ein und stieg aus, ohne zu fragen und gefragt zu werden, man hatte nicht ein einziges von den hundert Papieren auszufüllen, die heute abgefordert werden. Es gab keine Permits, keine Visen, keine Belästigungen; dieselben Grenzen, die heute von Zollbeamten, Polizei, Gendarmerieposten dank des pathologischen Mißtrauens aller gegen alle in einen Drahtverhau verwandelt sind, bedeuteten nichts als symbolische Linien, die man ebenso sorglos überschritt wie den Meridian in Green wich. Erst nach dem Kriege begann die Weltverstörung durch den Nationalsozialismus, und als erstes sichtbares Phänomen zeitigte diese geistige Epidemie unseres Jahrhunderts die Xenophobie: den Fremdenhaß oder zumindest die Fremdenangst. Überall verteidigte man sich gegen den Ausländer, überall schaltete man ihn aus. All die Erniedrigungen, die man früher ausschließlich für Verbrecher erfunden hatte, wurden jetzt vor und während einer Reise jedem Reisenden auferlegt. Man mußte sich photographieren lassen von rechts und links, im Profil und en face, das Haar so kurz geschnitten, daß man das Ohr sehen konnte, man mußte Fingerabdrücke geben, erst nur den Daumen, dann alle zehn Finger, mußte überdies Zeugnisse, Gesundheitszeugnisse, Impfzeugnisse, polizeiliche Führungszeugnisse, Empfehlungen vorweisen, mußte Einladungen präsentieren können und Adressen von Verwandten, mußte moralische und finanzielle Garantien beibringen, Formulare ausfüllen und unterschreiben in dreifacher, vierfacher Ausfertigung, und wenn nur eines aus diesem Schock Blätter fehlte, war man verloren.
Das scheinen Kleinigkeiten. Und auf den ersten Blick mag es meinerseits kleinlich erscheinen, sie überhaupt zu erwähnen. Aber mit diesen sinnlosen ›Kleinigkeiten‹ hat unsere Generation unwiederbringlich kostbare Zeit sinnlos vertan. Wenn ich zusammenrechne, wie viele Formulare ich ausgefüllt habe in diesen Jahren, Erklärungen bei jeder Reise, Steuererklärungen, Devisenbescheinigungen, Grenzüberschreitungen, Aufenthaltsbewilligungen, Ausreisebewilligungen, Anmeldungen und Abmeldungen, wie viele Stunden ich gestanden in Vorzimmern von Konsulaten und Behörden, vor wie vielen Beamten ich gesessen habe, freundlichen und unfreundlichen, gelangweilten und überhetzten, wie viele Durchsuchungen an Grenzen und Befragungen ich mitgemacht, dann empfinde ich erst, wieviel von der Menschenwürde verlorengegangen ist in diesem Jahrhundert, das wir als junge Menschen gläubig geträumt als eines der Freiheit, als die kommende Ära des Weltbürgertums. Wieviel ist unserer Produktion, unserem Schaffen, unserem Denken durch diese unproduktive und gleichzeitig die Seele erniedrigende Quengelei genommen worden! Denn jeder von uns hat in diesen Jahren mehr amtliche Verordnungen studiert als geistige Bücher, der erste Weg in einer fremden Stadt, in einem fremden Land ging nicht mehr wie einstens zu den Museen, zu den Landschaften, sondern auf ein Konsulat, eine Polizeistube, sich eine ›Erlaubnis‹ zu holen. Wenn wir beisammensaßen, dieselben, die früher Gedichte Baudelaires gesprochen und mit geistiger Leidenschaft Probleme erörtert, ertappten wir uns, daß wir über Affidavits und Permits redeten, und ob man ein Dauervisum beantragen solle oder ein Touristenvisum; eine kleine Beamtin bei einem Konsulat zu kennen, die einem das Warten abkürzte, war im letzten Jahrzehnt lebenswichtiger als die Freundschaft eines Toscanini oder eines Rolland. Ständig sollte man fühlen, mit freigeborener Seele, daß man Objekt und nicht Subjekt, nichts unser Recht und alles nur behördliche Gnade war. Ständig wurde man vernommen, registriert, numeriert, perlustriert, gestempelt, und noch heute empfinde ich als unbelehrbarer Mensch einer freieren Zeit und Bürger einer geträumten Weltrepublik jeden dieser Stempel in meinem Paß wie eine Brandmarkung, jede dieser Fragen und Durchsuchungen wie eine Erniedrigung. Es sind Kleinigkeiten, immer nur Kleinigkeiten, ich weiß es, Kleinigkeiten in einer Zeit, wo der Wert des Menschenlebens noch rapider gestürzt ist als jener der Währungen. Aber nur, wenn man diese kleinen Symptome festhält, wird eine spätere Zeit den richtigen klinischen Befund der geistigen Verhältnisse und der geistigen Verstörung aufzeichnen können, die unsere Welt zwischen den beiden Weltkriegen ergriffen hat.
Vielleicht war ich von vordem zu sehr verwöhnt gewesen. Vielleicht wurde auch meine Empfindlichkeit durch die schroffen Umschaltungen der letzten Jahre allmählich überreizt. Jede Form von Emigration verursacht an sich schon unvermeidlicherweise eine Art von Gleichgewichtsstörung. Man verliert – auch dies muß erlebt sein, um verstanden zu werden – von seiner geraden Haltung, wenn man nicht die eigene Erde unter sich hat, man wird unsicherer, gegen sich selbst mißtrauischer. Und ich zögere nicht zu bekennen, daß seit dem Tage, da ich mit eigentlich fremden Papieren oder Pässen leben mußte, ich mich nie mehr ganz als mit mir zusammengehörig empfand. Etwas von der natürlichen Identität mit meinem ursprünglichen und eigentlichen Ich blieb für immer zerstört. Ich bin zurückhaltender geworden, als meiner Natur eigentlich gemäß wäre und habe – ich, der einstige Kosmopolit – heute unablässig das Gefühl, als müßte ich jetzt für jeden Atemzug Luft besonders danken, den ich einem fremden Volke wegtrinke. Mit klarem Denken weiß ich natürlich um die Absurdität dieser Schrullen, aber wann vermag Vernunft etwas wider das eigene Gefühl! Es hat mir nicht geholfen, daß ich fast durch ein halbes Jahrhundert mein Herz erzogen, weltbürgerlich als das eines ›citoyen du monde‹ zu schlagen. Nein, am Tage, da ich meinen Paß verlor, entdeckte ich mit achtundfünfzig Jahren, daß man mit seiner Heimat mehr verliert als einen Fleck umgrenzter Erde.

 Aus: Die Welt von gestern, Kapitel 18 (1942)
Quelle: http://gutenberg.spiegel.de/buch/die-welt-von-gestern-6858/18 


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